Laboratoire

24 nov
24/nov/2024

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Le serment d'Hypocras

Extrait du Monde de mi-septembre (cf fin de l'article)

Dans la lutte contre les manquements à l’intégrité scientifique, qui vont de la fraude par invention ou par manipulation de données à des entor­ ses aux règles plus légères, la France com­ plète sa panoplie. Désormais, les doctorants devront prêter serment à l’issue de leur ad­ mission au grade de docteur, pour s’engager à continuer de respecter les principes de l’intégrité qu’ils ont appris.
Ce dispositif, prévu par la loi de program­ mation de la recherche de décembre 2020 et paru dans un arrêté le 26 août, s’ajoute à de nombreux autres, comme la création de l’Office français de l’intégrité scientifi­ que (OFIS), la nomination de référents inté­grité dans chaque université et organisme de recherche, ou encore la signature de chartes de référence.
Le texte stipule : « Parvenu(e) à l’issue de mon doctorat (...) et ayant ainsi pratiqué, dans ma quête du savoir, l’exercice d’une recherche scientifique exigeante, en culti­ vant la rigueur intellectuelle, la réflexivité éthique et dans le respect des principes de l’intégrité scientifique, je m’engage, pour ce qui dépendra de moi, dans la suite de ma carrière professionnelle quel qu’en soit le secteur ou le domaine d’activité, à maintenir une conduite intègre dans mon rapport au savoir, mes méthodes et mes résultats.» Selon l’OFIS, qui a contribué à le rédiger, il existerait très peu d’autres initiatives de ce genre à travers le monde. Aux Pays­Bas, l’université de Maastricht impose depuis deux ans un tel serment sur l’intégrité, mais qui en précise un peu plus le contenu : honnêteté, méticulosité, impartialité, véri­ fiabilité, indépendance...
«J’ai suggéré cet amendement à la loi de 2020 en constatant le désarroi de post-doc­torants face à des demandes de leurs direc­teurs de laboratoire qu’ils ne trouvaient pas déontologiquement acceptables, rappelle Pierre Ouzoulias, sénateur communiste, coauteur d’un rapport sur l’intégrité scien­ tifique pour l’Office parlementaire d’éva­luation des choix scientifiques et technolo­giques. Ils auraient aimé pouvoir, comme les docteurs en médecine, arguer des clauses morales d’un serment pour refuser de s’exé­cuter. En cas de contentieux, j’ai la faiblesse de penser que le serment pourra aussi servir la défense de celui qui l’a prononcé. »
Une « vocation symbolique ».
« Nous étions opposés à ce serment, car nous pensons qu’il ne pouvait répondre au man­que d’intégrité, que nous attribuons plutôt au climat de compétition, à la baisse des moyens, à la précarité dans les laboratoi­res...», indique Julie Crabot, présidente de l’association Confédération des jeunes cher­cheurs, pour qui les réformes en matière de doctorat devraient plus porter sur les rému­nérations et sur les postes à augmenter que sur le serment. Ce dernier, d’ailleurs, n’est pas obligatoire: ne pas le prononcer n’empêche pas d’avoir sa thèse. Mais il est cohérent avec les changements de ces dernières années qui ont rendu obligatoires des formations pour les doctorants sur ces questions d’intégrité scientifique. Une charte des doctorants, si­gnée par l’étudiant et son ou ses encadrants, sera modifiée également pour prendre en compte le serment et l’intégrité scientifique.
L’OFIS reconnaît, dans des fiches accompa­gnant la mesure, une «vocation symboli­que» et un «engagement moral» plutôt qu’un outil qui à lui seul éviterait les dérapa­ges. Il considère aussi comme «inexacte» la comparaison avec le serment d’Hippocrate des médecins, qui est lié à une profession dotée d’un ordre, contrairement aux cher­cheurs. Il insiste sur le fait que «le serment est individuel, mais le rôle de l’environnement de travail est fondamental pour transmettre et préserver de bonnes pratiques ».
Pierre Ouzoulias souligne de son côté un autre point : « Le serment s’applique à tous les docteurs, y compris ceux qui ne seront pas employés dans les établissements publics qui bénéficient de la liberté de la recherche. En cela, il permet d’élargir aux chercheurs de la recherche privée certaines des garanties dont jouissent les chercheurs de la recherche publi­que. Il y a là, en germe, les éléments d’un futur statut unique des chercheurs. » 

David Larousserie pour Le Monde du 14 Septembre (Le Monde. Science et Medecine)